I. Allegro
Je vois les forêts brûler
Les migrants se noyer
Les canicules à répétition
Tout ça me donne envie de pleurer
Ma psychologue m’a dit
que je souffrais de solastalgie
C’est une nouvelle forme de détresse psychologique
et de souffrance existentielle
Tout ça
c’est lié au réchauffement climatique
Elle m’a dit que c’était normal
On est au XXIème siècle
A chaque siècle ses problèmes
et ses nouvelles maladies mentales
Elle m’a dit d’aller prendre de l’Ayahuasca en Amazonie
Elle connaissait un bon chaman
J’ai fini par pleurer toutes les larmes de mon corps
Mais pour ne pas les gâcher
Je pleurais au-dessus d’un verre d’eau
Pui j’ai expliqué à ma psychologue
que l’année dernière
on a abattu 18 arbres par seconde en Amazonie
Elle m’a alors conseillé d’aller voir mon médecin
pour une prescription d’antidépresseurs
En partant
elle m’a dit qu’il fallait que j’arrête de culpabiliser
et de faire culpabiliser les gens
II. Adagio
Mon médecin
m’a rédigé une ordonnance
sur laquelle était prescrit
une perfusion de mots positifs
Une technique révolutionnaire
qui transforme les mots et concepts
pour une rapide convalescence
du corps et de l’esprit
À la pharmacie, ils m’ont délivré
un kit prévu à cet effet
Ils m’ont bien expliqué comment faire
Choisir la bonne veine
Choisir un bon fauteuil
Et attendre que les mots perfusent
Des mots comme
Joie Bonheur Sourire Avenir Espoir
Au lieu de
Amer Triste Sauvagerie Mort Illusion
Je tente le coup
J’ai envie d’y croire
Il m’a dit aussi mon médecin
que je pouvais prendre un bain
pendant la perfusion
Je lui ai répondu un peu trop fort
la sobriété de l’eau
C’est la solution pour l’avenir
De l’agriculture
Il a soufflé et m’a dit
sur le ton de la confidence
que je pouvais ramasser les déchets
sur les plages ou les sentiers
Cela allège le poids de la culpabilité
III. Allegretto
Je ramasse alors des déchets
L’herbe pousse à mes pieds
Les chiens chient sur le bitume
Le monde tourne toujours
Il est de bon ton de ne plus croire en rien
J’ai envie de croire encore
De croire que l’herbe continuera de pousser
et que les arbres aussi
Que le ciel sera bleu
même dans le futur
J’ai envie de croire aux illusions
De mettre un peu d’engrais dans la réalité
pour sa croissance
De l’engrais composé d’espoir et d’espérance
et de jolies phrases comme
Tu es belle
Tu es beau
Ou
C’est trop bon la blanquette de veau
Mais le problème
C’est que ça ne marche pas
Je ramasse des déchets
Je ramasse de la merde par terre
Du plastique
Des masques usagés
Des goélands morts
Des homards bien cuits
On trouve de tout sur la plage
Je ramasse aussi une bonne dose d’anxiété
Elle traîne là sur le sable
Le poids de toute l’humanité
C’est lourd à porter
Ca fait mal au dos
C’est aussi lourd
que la baleine devant moi
en train de crever
à cause des filets de pêche dans ses poumons
Bon ça ne marche pas
J’ai toujours la cage thoracique compressé
Le problème
C’est qu’on est dans un monde de sauvage
J’ai grand besoin d’une perfusion
mais c’est à usage unique
Mon médecin me l’a bien spécifié
Trop c’est trop
Sinon surdose et confusion
C’est trop bon la blanquette de veau
mais ça ne marche pas non plus
J’ai le cœur meurtri
de toute cette sauvagerie
Alors je continue à ramasser des déchets
Une poupée Barbie
Un dentier
Une canette Pepsi
Les restes du Consentement de Mazneff
Et une bouteille à la mer avec un mot dedans qui dit :
« Salut, c’est Dieu. Si tu trouves cette bouteille, tu peux croire en moi.
Non je déconne, je suis à un EVG, complètement pété, et on a décidé
de lancer une bouteille à la mer, et c’est l’idée la plus intelligente de la soirée, haha ! Bonne soirée, Fred »
Je me dis
C’est peut-être Freddy Mercury
C’est la classe ou le hasard.
Je trouve encore
Un sein en silicone
Un bout de bras avarié et nécrosé
Qui flotte dans un brassard
C’est sans fin
C’est dégueulasse
la plage
aussi sale qu’un clip de trap
Mais c’est juste le reflet siliconé
de toute l’humanité
Le ramassage des déchets dans la nature
C’est comme attendre Godot
Il ne m’avait pas dit ça mon médecin
Et je me demande
en ramassant les déchets
combien
IV. Presto
Et si la fin du monde
n’était pas le début d’un nouveau monde ?
Et si le Big-Bang n’était pas la fin d’un ancien monde
et le début du nôtre ?
Je vais continuer à ramasser des déchets
en attendant le Big-Bang
À moins que Dieu existe
Ou alors
Et si Godot, c’était Dieu ?
Et si Dieu
C’était juste un God ?
Et le Big-Bang, un énorme orgasme ?
On pourrait
Alors
Appuyer sur le bouton un peu plus tôt
Histoire de détendre le diaphragme
Oui
Appuyer sur le bouton un peu plus tôt
Mais je vais faire une petite pause
M’agenouiller sur la plage
et à défaut de blanquette de veau
manger des bulots pas cuits
en attendant que Godot
déclenche l’orgasme général